Sommaire: lorsqu’une société fait l’objet d’une procédure collective, le dirigeant ayant commis des fautes de gestion peut être condamné au paiement de tout ou partie du passif social, au titre de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. Il peut également être tenu au paiement du passif fiscal s’il est reconnu responsable de manoeuvres frauduleuses ou de l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales. Du fait de la crise économique, ces deux types d’actions connaissent un certain essor. 

En cas de procédure collective, le dirigeant voit sa responsabilité engagée devant le tribunal de commerce, à la demande du mandataire judiciaire, si celui-ci estime qu’il a commis des fautes de gestion, sur le fondement des articles L 651-1 et suivants du Code de commerce.

Le Trésor Public dispose, quant à lui, de son propre recours à l’encontre du dirigeant afin d’obtenir sa condamnation solidaire au paiement du passif fiscal de la société. Cette action, fondée sur les dispositions de l’article L 267 du Livre des Procédures Fiscales, est exercée devant le tribunal de grande instance, en cas de manoeuvres frauduleuses du dirigeant ou de l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales.

Dans le contexte de crise économique que nous traversons, deux constats prévalent :

  • le taux d’appels en comblement de passif reste faible: ainsi, l’on dénombrait en 2005, lors de l’adoption de la Loi du 26 juillet 2005 de Sauvegarde des Entreprises, 450 appels en comblement de passif pour 45.000 entreprises placées en liquidation judiciaire. Toutefois, le taux d’appel est à la hausse1.
  • Un net essor du recours du Trésor aux dispositions de l’article L 267 LPF ces dernières années, ce qui constitue un nouveau risque pour le dirigeant.

Si les condamnations prononcées par les juges consulaires au titre de l’action en comblement de passif restent limitées en moyenne à 10 à 20 % du passif, il n’en va pas de même pour les condamnations rendues sur le fondement de l’article L 267 LPF, qui aboutissent au paiement de l’intégralité du passif fiscal.

Le présent article vise à dresser un état des lieux de la responsabilité civile des dirigeants et à déterminer comment ces deux types d’actions s’articulent l’une par rapport à l’autre.

I. Personnes visées et champ des deux actions 

1. Quels sont les dirigeants visés ? 

L’article L 651-2 du Code de commerce prévoit:

« Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion (…). 

Soumise à la condition que la personne morale ait été placée en liquidation judiciaire, l’action vise en premier lieu les dirigeants de droit. Il s’agit typiquement du gérant de SARL, du Directeur Général ou du Président du Conseil d’Administration, ainsi que des membres du Directoire de la SA (mais non des membres du Conseil de Surveillance).

L’action vise encore les dirigeants de fait, étant précisé que la jurisprudence s’attache, pour retenir cette qualité, à caractériser une activité de direction ou de gestion, exercée en toute indépendance et souveraineté.

L’action en paiement diligentée par l’Administration Fiscale est, quant à elle, fondée sur l’article L 267 LPF qui dispose :

Lorsqu’un dirigeant d’une (…) personne morale (…) est responsable des manoeuvres frauduleuses ou de l’inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par (…) la personne morale (…), ce dirigeant peut, s’il n’est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d’une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal de grande instance. (…) Cette disposition est applicable à toute personne exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la personne morale (…). 

Elle ne vise, pour sa part, que le dirigeant dont il est prouvé qu’il exerce la direction effective d’une société ou d’une personne morale. Il peut s’agir de toute personne exerçant, de droit ou de fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société.

La jurisprudence n’a pas défini de critères qui, pris isolément, seraient décisifs pour qualifier la direction de fait ; tout est affaire de circonstances et repose sur un ensemble de faits qui ont valeur de d’indication pour le juge. Les juges se fondent au cas par cas sur un faisceau d’indices relatifs aux pouvoirs de direction ou de contrôle détenus et exercés par les personnes concernées au sein de la société et vis-à-vis des tiers (clients, administrations, banques, etc.) et aux conditions de rémunération qui leur sont consenties.

La circonstance que le dirigeant de droit ou de fait de la société débitrice soit une personne morale n’exclut pas que sa responsabilité puisse être recherchée, ni même celle du dirigeant de cette personne morale, lequel est alors considéré comme un dirigeant indirect de la société.

Enfin, en cas de changement de direction de l’entreprise, le dirigeant dont la responsabilité peut être recherchée est celui qui dirigeait la société à la date des manquements ou manoeuvres frauduleuses constatés. Ainsi, il importe peu que le dirigeant de droit ou de fait ait cessé d’exercer ses fonctions avant l’engagement de l’action prévue par l’article L 267 du LPF.

2. Quelle est l’étendue de la responsabilité engagée ? 

L’action en paiement de l’insuffisance d’actif porte, synthétiquement, sur la différence entre l’actif existant et le passif admis et né avant le jugement d’ouverture.

L’action fondée sur L 267 LPF voit son étendue plus restreinte puisqu’elle ne tend, pour sa part, qu’au paiement des impositions dont l’entreprise est redevable à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective, soit :

  • en principal : tous les impôts dont l’entreprise est redevable (IS, TVA, Droits d’enregistrements, contribution économiques territoriale, impôts fonciers, etc.) ;
  • en accessoire : les intérêts de retard et pénalités.

Mais la différence essentielle réside dans la manière dont s’exerce le pouvoir d’appréciation du juge sur le montant de la condamnation. En effet, dans le cas de l’action en comblement de passif, est appliqué par le juge un principe de proportionnalité entre la faute et le quantum de la condamnation, qui prend en considération le nombre et la gravité des fautes commises, ainsi que l’intérêt personnel que le dirigeant en a retiré.

Ces deux actions sont soumises à certaines conditions de mises en oeuvre qui seront comparées ci-après.

II. En quoi diffèrent les conditions de mise en oeuvre des deux actions ? 

1. Titulaires de l’action et tribunal compétent 

L’action en comblement de l’insuffisance d’actif est engagée devant le tribunal de commerce qui a ouvert la liquidation judiciaire de la personne morale et se prescrit par trois ans.

L’action du Trésor est engagée par le comptable du Trésor chargé du recouvrement devant le président du tribunal de grande instance du lieu du siège social de la société débitrice.

Aucun délai de prescription particulier n’est attaché à l’action en responsabilité solidaire contre le dirigeant. Ainsi, le seul délai qui s’impose au Trésor est celui de l’action en recouvrement de la créance fiscale à l’encontre de la société (quatre ans à compter de la mise en recouvrement porté à 6 ans pour les redevables étrangers hors UE).

Toutefois, conformément à la jurisprudence de la Cour de Cassation, des consignes ont été données aux comptables de la direction générale des finances publiques afin que cette action soit engagée dès que les conditions de sa mise en oeuvre sont réunies, sans attendre la clôture pour insuffisance d’actif de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la personne morale.

2. L’existence d’un manquement, condition de fond pour la mise en jeu de la responsabilité 

La faute de gestion s’entend d’un manquement commis à l’occasion de la gestion de l’entreprise, ayant concouru à l’insuffisance d’actif. Ainsi, il n’est pas nécessaire de caractériser une faute lourde et il suffit théoriquement que la faute constitue l’une des causes de l’insuffisance d’actif pour que le dirigeant soit condamné à le supporter en totalité. Toutefois, les juges retiennent rarement l’existence d’un fait unique mais un ensemble de fautes et usent de leur pouvoir modérateur en fonction du caractère de gravité de celles-ci et de l’intérêt personnel que le dirigeant en a tiré.

A titre d’exemple, l’on peut citer le défaut de tenue de comptabilité, la poursuite d’une activité déficitaire au mépris des alertes déclenchées par les commissaires aux comptes, ou encore le maintien d’une main d’oeuvre pléthorique alors que des licenciements s’imposaient.

Par opposition, les manoeuvres frauduleuses ou l’inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui doivent être caractérisées pour que l’article L 267 LPF trouve à s’appliquer requièrent que soit démontrée l’existence des éléments suivants :

  • manquements graves et répétés ou manoeuvres frauduleuses ;
  • agissements imputables au dirigeant ;
  • agissements ayant rendu impossible le recouvrement de la créance fiscale sur la société.

A titre d’exemple, la jurisprudence considère que le lien entre l’inobservation des obligations fiscales et l’impossibilité de recouvrement des impositions est établi en présence d’un défaut de déclaration et de paiement de l’impôt ayant conduit à l’accumulation d’une dette fiscale excessive, d’un financement des besoins de trésorerie de la société par le non-paiement de la TVA collectée et des charges sociales ou encore d’une minoration systématiques des recettes déclarées par l’entreprise.

Contrairement à la règle qui prévaut pour l’action en comblement d’insuffisance d’actif, le lien de causalité dont s’agit doit être exclusif et dès lors que le dirigeant établit que les services fiscaux ont fait preuve d’inertie et de carence en n’épuisant pas les moyens de poursuite à leur disposition pour obtenir le paiement des sommes dues par la société avant l’ouverture de la procédure collective, la condition de causalité n’est pas remplie.

III. Non-cumul ou superposition des deux actions ? 

L’article L 267 LPF pose un principe de non-cumul selon lequel le dirigeant n’est responsable que s’il n’est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d’une autre disposition. En pratique, l’administration fiscale estime que son action est indépendante de celle exercée devant le tribunal de commerce et l’intente nonobstant l’existence d’une action en comblement de passif en cours.

Conclusion : 

La Cour de Cassation, par un arrêt du 27 juin 2014, a renvoyé devant le Conseil Constitutionnel la Question Prioritaire de Constitutionnalité suivante : l’action en comblement de passif est-elle susceptible d’affecter les principes constitutionnels de réparation des actes fautifs et d’égalité devant la loi. Etaient mis en cause le caractère facultatif de la condamnation ainsi que le pouvoir souverain du juge d’apprécier son montant, car ces éléments conduiraient à un risque d’arbitraire excessif.

Par une décision du 26 septembre 2014, le Conseil Constitutionnel retient que la mise en oeuvre des principes constitutionnels susvisés peut être aménagée pour des motifs d’intérêt général et relève qu’en permettant l’exonération totale ou partielle des dirigeants de la charge d’insuffisance d’actif, le législateur a entendu prendre en compte la gravité des fautes retenues et l’état du patrimoine des dirigeants fautifs de même que les risques inhérents à l’exploitation d’une entreprise. Il s’agit là de répondre à l’objectif d’intérêt général de favoriser la création et le développement des entreprises.


1.  A titre d’exemple, les statistiques du tribunal de commerce de Versailles montrent que les mandataires judiciaires ont requis davantage de recours en sanctions, y compris d’actions en comblement de passif, en 2014 qu’en 2013. Pour autant, les condamnations n’ont pas augmenté sensiblement, dans la mesure où nombre d’actions ne remplissaient pas les conditions de fond requises pour prospérer.

2. Rép. Lasbordes AN 20 juillet 2010 p. 8098 n°76314

Par Michaël Taiëb co-signé avec Florent Ivanier du Cabinet Aurele IT.